Briefing: Les droits de l’enfant à l’ère du numérique


Introduction

Aucun groupe n’a été autant touché que celui des enfants par la révolution des communications de l’ère du numérique. Dans les pays riches, les communications en ligne font aujourd’hui intégralement partie de la vie des enfants dès leur plus jeune âge. Au Royaume-Uni par exemple, les enfants âgés de 5 à 15 ans passent deux heures en ligne chaque jour. Beaucoup de pays plus pauvres, notamment les grandes économies émergentes, rattrapent leur retard.

Pour le meilleur ou pour le pire, Internet va bientôt devenir inséparable du développement personnel et de la vie sociale d’une grande majorité d’enfants dans le monde entier. Cela apporte de nombreux avantages : l’accès à l’information, les possibilités de s’exprimer, de plus larges horizons de savoirs et un éventail radicalement plus large d’interactions sociales. Cela expose aussi les enfants à l’hypermédiatisation, à de nouveaux risques, notamment l’exploitation et les abus par les utilisateurs adultes, au harcèlement en ligne par leurs paires et la surutilisation.

Face à ces avancées rapides, l’élaboration des politiques a été réactive et fragmentée. Le programme politique est généralement établi sans la sollicitation des enfants ou l’évaluation des impacts sur eux, et sans considération des droits accordés par la loi aux enfants. En particulier, la politique visant à protéger les enfants contre les abus et la surutilisation en ligne, bien que bienvenue en principe, a souvent privé les enfants des avantages de l'ère numérique auxquels ils ont autant droit que les adultes.

Ce briefing aborde ces questions sous l'angle des droits de l'enfant et conclut que le devoir de protection des enfants et leur droit d'accès à Internet ne sont pas opposés ; il n'est pas nécessaire de couper les enfants de leur monde pour les en protéger. En combinant l'éducation à la culture numérique et les principes du consentement éclairé, une approche fondée sur les droits peut concilier le droit des enfants à être protégés avec leur droit d'utiliser librement Internet.

Les implications de l'ère numérique sur les droits de l'enfant, notamment ceux énoncés dans la Convention relative aux droits de l'enfant, doivent encore être étudiées en détail. Néanmoins, il est clair que la révolution Internet engage tous les droits de la Convention. Ce briefing se concentre sur quatre groupes de droits :

  • Le droit d'accès à l'information et le droit à l'éducation,

  • Le droit à la vie privée et le droit à l’oubli,

  • Le droit d'être protégé contre les abus, et

  • Le droit à la liberté d'expression et le droit d'être entendu.

L’éducation et l’accès à l’information

L’enjeu
La plus grande inégalité de l'ère numérique reste le fait que les enfants des familles les plus pauvres des pays en développement sont peu susceptibles d’avoir accès à Internet. Ce sont ces enfants qui ont le plus à gagner de l'accès à Internet, et aussi le plus à perdre de rester coupés de celui-ci. 

Ailleurs, la croissance d’Internet a été accompagnée d'une censure gouvernementale. Dans sa forme la plus radicale, la censure a consisté en un blocage total des ressources d'informations telles que Wikipédia et des plateformes d'expression comme Twitter. Dans certains pays, les préoccupations relatives à la protection ont été faussement utilisées afin de bloquer l'accès à l'information sur la sexualité et le genre, invoquant une "propagande homosexuelle", ce qui a obligé les services de soutien aux enfants LGBTQ à fermer ou à entrer dans la clandestinité. Même lorsque les préoccupations liées à la protection fournissent de véritables motifs pour restreindre l'accès des enfants à la violence extrême, aux images d'abus d'enfants ou aux organisations interdites, les restrictions sont généralement appliquées à l'excès, en écartant les informations adaptées à l'âge sur le sexe, la sexualité, la consommation de drogues illicites et les questions politiques et sociales. En outre, le marketing d'entreprise, qui est souvent présenté comme une information non commerciale, peut profondément biaiser le contenu auquel les enfants accèdent et qu'ils assimilent.

Les droits de l’enfant

Les États ont l'obligation juridique de veiller à ce que les enfants aient une éducation et puissent accéder facilement et équitablement à l'information pour assurer leur développement et leur bien-être. Le droit des enfants à la libre expression exige également qu'ils soient capables de rechercher des informations et des idées de toutes sortes. Il en résulte que les autorités devraient se prononcer en faveur de l'accès des enfants à Internet et que les restrictions ne devraient être imposées par la loi que lorsque cela est nécessaire afin de garantir le respect des droits d'autrui, pour la protection de la sécurité nationale, de l'ordre public ou de la santé publique. Les enfants ont également le droit d'être protégés contre l'exploitation économique, ce qui a des conséquences considérables pour le marketing en ligne, qui dans de nombreux pays reste largement non réglementé.

Des principes à la pratique

Mise à disposition d’Internet. L'aide aux pays étrangers devrait être utilisée pour aider les enfants vivant dans des régions économiquement défavorisées à accéder à Internet sur un pied d'égalité avec ceux issus de milieux plus aisés. Une des solutions proposées a été d'offrir un accès à un Internet rapide payant dans les endroits les plus favorisés, ce qui pourrait subventionner un service plus lent et gratuit ailleurs. Il ne s'agit pas d'une approche fondée sur les droits, cela ne ferait que creuser davantage le fossé socio économique.

Restrictions. Sauf lorsque la limitation de l'accès au contenu est requise sans ambiguïté par la loi, et que cette loi respecte les normes relatives aux droits de l'enfant énoncées ci-dessus, l'éducation des enfants à la culture numérique est un moyen à privilégier pour les protéger contre les dangers. Les programmes d’États et d’entreprises, tels que les opinions idéologiques sur la légitimité des informations concernant les LGBTQ ou le marketing agressif des entreprises, ne devraient pas être autorisés à interférer avec le droit d'accès des enfants reconnu par la loi.

Vie privée

L’enjeu

Les enfants sont particulièrement vulnérables à l'exploitation de leurs informations personnelles par des organismes commerciaux et publics, dont les pratiques de collecte de données restent largement non réglementées dans la plupart des régions du monde. Les enfants sont moins susceptibles que les adultes de savoir qu'ils ont un droit à la vie privée, que leur activité en ligne est automatiquement enregistrée et qu'ils sont des cibles pour les entreprises qui collectent leurs données personnelles à des fins commerciales.

Par exemple, de nombreux services en ligne, tels que les jeux, exigent que les enfants fournissent des informations personnelles détaillées comme condition d'accès, par exemple en se connectant à l'aide de leurs identifiants Facebook. Une fois l'accès accordé, les fournisseurs suivent en détail l'activité en ligne et peuvent inciter les enfants à divulguer d'autres données personnelles à l'aide de questionnaires de personnalité et autres. Souvent, la seule protection contre cette situation est une politique de confidentialité ou des conditions générales d’utilisation, qui sont généralement superficielles et rédigées dans un langage opaque.

En outre, les déplacements physiques et les activités en ligne des enfants sont de plus en plus surveillés par d'autres acteurs comme les parents, les écoles et le gouvernement. Les technologies de surveillance vont des applications destinées aux parents qui signalent le lieu où se trouve leur enfant, au contrôle des écoles à la recherche de futurs terroristes potentiels à l'aide de systèmes informatiques qui recueillent des informations sur les activités des enfants. La surveillance est par nature intrusive, elle n'est généralement pas soumise au consentement des enfants, et ceux-ci n'en sont souvent pas informés. Elle peut également être contre-productive. Lorsque les enfants savent qu'ils sont surveillés, ils sont susceptibles d'adapter leur comportement et d'autocensurer leurs communications, et leur confiance dans les autres (parents, école, État) peut en être affectée.

Les droits de l’enfant

Le droit à la vie privée reconnaît la souveraineté des enfants sur leurs informations personnelles. Le même droit implique un droit correspondant « à l’oubli » - le droit de faire effacer les données personnelles conservées - qui est maintenant reconnu explicitement dans l'Union européenne. Le fait de demander aux enfants leur consentement pour la collecte de leurs informations témoigne d’un plus grand respect pour le droit des enfants à la vie privée. Le consentement doit être libre et informé et l'enfant doit pouvoir se rétracter à tout moment. Si un enfant n'a pas la capacité de consentir, alors son consentement ne peut jamais justifier la collecte de ses informations.

Des principes à la pratique

La collecte de données. Aucune donnée personnelle ne devrait être collectée auprès des enfants sans leur consentement éclairé, qui devrait être fondé sur une déclaration claire, accessible et non ambiguë sur la manière dont elle doit être traitée. Les enfants devraient avoir la possibilité de retirer leur consentement à tout moment. Les enfants qui n'ont pas encore développé la capacité d'accorder un tel consentement ne devraient pas être invités à fournir des données personnelles en ligne. Dans tous les cas, les données collectées doivent être le minimum nécessaire pour fournir le service en ligne en question. 

Stockage et partage de données. Les données personnelles des enfants ne devraient jamais être partagées avec des tiers, sauf si cela est absolument nécessaire pour fournir un service en ligne ou est requis par la loi, et elles ne devraient jamais être échangées à des fins lucratives. Lorsque le partage des données est réellement nécessaire, les enfants devraient toujours en être informés avant d'être invités à les fournir, et toutes les données partagées doivent être effacées une fois leur finalité atteinte.

Surveillance. Sauf lorsque la surveillance des activités des enfants - en ligne et ailleurs - est requise par la loi, elle ne devrait pas avoir lieu sans : a) leur consentement éclairé ; ou b) le consentement de leurs parents lorsque les enfants n'ont pas encore la capacité d'accorder un tel consentement. Dans tous les cas, les enfants ne devraient pas être surveillés à leur insu.

La protection contre l'exploitation et les abus

L’enjeu

Certaines caractéristiques de l'environnement numérique amplifient le risque que les enfants soient exploités ou maltraités par d'autres utilisateurs. En particulier, les auteurs d'abus en ligne peuvent facilement agir de manière anonyme et contourner les personnes responsables comme les parents ou les enseignants. Lorsque des enfants sont victimes d'intimidation en ligne, par exemple par le biais de la « vengeance pornographique », leur humiliation peut devenir largement publique.

La prédation sexuelle en ligne - le fait de tromper un enfant à des fins sexuelles - est en augmentation, bien que son ampleur reste inconnue. L'abus sexuel qui s'ensuit peut se produire en ligne, par exemple par l'envoi ou la sollicitation de sextos (images sexuelles explicites), ou hors-ligne, si la victime est attirée dans une rencontre.

Le harcèlement en ligne, qui prend plusieurs formes, est de plus en plus courant et peut avoir un impact profond sur la santé mentale, le bien-être et le niveau scolaire. Aux États-Unis, par exemple, la plupart des enfants pensent que c'est un problème grave, et deux sur cinq en ont fait l'expérience. Lorsque les enfants vont en ligne, ils sont plus susceptibles de harceler les autres et de se faire harceler, que lorsqu'ils sont hors ligne. 

Bien que le risque d'abus en ligne soit clairement sérieux, la couverture médiatique ne reconnaît généralement pas la capacité de la plupart des enfants (et de leurs parents) à se protéger. Au Royaume-Uni, par exemple, neuf enfants sur dix ont parlé à leurs parents de la sécurité en ligne et leur ont dit qu'ils en parleraient à un parent ou à un enseignant s'ils étaient confrontés à des actes de harcèlement ou de prédation sexuelle.

Les droits de l’enfant

Les enfants ont le droit, en vertu du droit international et de la plupart des législations nationales, d'être protégés contre les abus, y compris les abus sexuels. Il incombe légalement aux autorités gouvernementales d'empêcher les agresseurs de contacter les enfants et de rendre ainsi Internet plus sûr, plutôt que d'empêcher les enfants d'y accéder. 

Du principe à la pratique

Les conseils du Royal College of Psychiatrists au Royaume-Uni découragent les parents d'espionner leurs enfants, ce qui peut donner aux enfants un sentiment de méfiance et augmenter le risque d'automutilation. La meilleure défense contre la prédation sexuelle et l'intimidation en ligne est d'avoir des parents informés et engagés qui discutent d’Internet avec leurs enfants dès le début et peuvent reconnaître les signes avant-coureurs (comme le repli sur soi), afin que les enfants se sentent capables de signaler et de discuter de tout ce qui les a mis mal à l'aise. 

Liberté d’expression

L’enjeu

Internet a permis aux enfants de devenir actifs politiquement et de se mobiliser pour des causes sociales et écologiques, projetant leurs voix dans le monde avec une portée sans précédent. Cela a exposé les enfants à la même répression de la liberté d'expression que celle qui touche les adultes. En Chine, par exemple, il est illégal d'utiliser Internet pour diffuser des informations critiques à l'égard du gouvernement. Aux États-Unis, une école a puni un groupe d'étudiants pour avoir affiché des contenus sexualisés, qui ont été légalement téléchargés hors du campus depuis leurs propres appareils.

Le recours croissant à la surveillance - des habitudes de surveillance des parents et des écoles à la collecte massive de données personnelles par les organismes d'État, comme l'ont révélé Edward Snowden et d'autres - joue également un rôle dans la restriction de la liberté d'expression. Dans le cadre du programme « Prevent » du Royaume-Uni, les enfants, en pratique particulièrement les musulmans, peuvent être signalés aux autorités pour avoir exercé leur curiosité sur l'extrémisme islamiste ou s'être exprimés au nom de groupes opprimés. Là encore, de nombreux enfants préservent ingénieusement leur liberté d'action en contournant la surveillance grâce à des technologies comme WhatsApp et Firechat.

Les droits de l’enfant

Les enfants ont le droit à la liberté d'expression, et ont aussi le droit de faire entendre leurs opinions sur toutes les questions qui les concernent. En tant que principe reconnu par la loi, le droit à la liberté d'expression prime sur les préférences politiques des écoles et autres institutions. Toute restriction à cette liberté fondamentale n'est légitime que si elle est requise par la loi et strictement nécessaire pour protéger les droits d'autrui, la sécurité nationale, l'ordre public ou la santé publique.

Des principes à la pratique

Les enfants ne doivent pas avoir peur de dire ce qu'ils pensent en ligne, même lorsque leurs opinions semblent répréhensibles pour d’autres, à condition qu'ils agissent dans le respect de la loi et ne présentent aucun risque sérieux de préjudice pour eux-mêmes ou pour les autres. Il incombe à l'État et à la société dans son ensemble de protéger Internet en tant qu'espace où les enfants peuvent s'exprimer sans trop d'anxiété, et de protéger leur droit à être entendus dans leur propre intérêt. Les enfants ne doivent pas éveiller de soupçons lorsqu’ils exercent ces droits. 

Prévention et solutions

Les États ont l'obligation légale de protéger les enfants contre les contenus préjudiciables et les abus, mais pour ce faire, il n'est ni nécessaire ni efficace de restreindre leurs droits numériques. La meilleure garantie est de faciliter l'accès des enfants à Internet, de protéger leur vie privée, d'encourager leur expression et de veiller à ce qu'ils puissent reconnaître les dangers potentiels et savoir quoi faire à leur sujet.

Nous suggérons qu'une approche stratégique de la parentalité et de l'élaboration des politiques dans ce domaine repose au moins sur ces quatre piliers :

  • Une approche fondée sur les droits en priorité. Maximiser l’exercice par les enfants de tous leurs droits en ligne de façon équitable, y compris les enfants qui n'ont actuellement pas ou peu d'accès à Internet.

  • La culture numérique. Dès le plus jeune âge et tout au long de leur développement, veiller en permanence à ce que les enfants soient conscients des droits et des risques liés au numérique, et de ce qu'il faut faire à ce sujet. 

  • Le consentement. Donner aux enfants le pouvoir de décider eux-mêmes comment les autres recueillent et utilisent leurs informations en exigeant leur consentement. Afin de protéger les jeunes enfants, il peut être nécessaire de fixer un âge minimum de consentement numérique, comme c'est actuellement le cas dans l'Union européenne et aux États-Unis. 

  • Accès à la justice. Veiller à ce que les enfants disposent de voies de recours formelles (y compris juridiques) en cas de violation de leurs droits et à ce qu'ils reçoivent le soutien nécessaire pour utiliser efficacement ces procédures de plainte.

Ces quatre principes, s'ils sont appliqués de manière systématique, devraient réduire considérablement la nécessité de restreindre l'accès numérique ou de surveiller le comportement des enfants sans leur permission ou à leur insu.


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