Côte D'Ivoire
CRIN tient à exprimer sa profonde gratitude à Eric Attiapo de Save the Children pour ses commentaires perspicaces sur la version préliminaire de ce rapport. CRIN a également envoyé une version préliminaire à l'État pour obtenir des commentaires et les commentaires reçus ont été pris en compte lors de la finalisation du rapport. Toute erreur ou inexactitude subsistant dans le rapport est le fait de CRIN.
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I. Les protections juridiques nationales
A. Les droits environnementaux sont-ils protégés par la Constitution nationale ?
La Constitution ivoirienne1 comprend les dispositions relatives à la protection de l’environnement suivantes.
- Le Préambule de la Constitution définit un engagement de principe afin de « contribuer à la préservation du climat et d’un environnement sain pour les générations futures ».
- L’article 27 prévoit que : « Le droit à un environnement sain est reconnu à tous sur l’ensemble du territoire national. Le transit, l’importation ou le stockage illégal et le déversement de déchets toxiques sur le territoire national constituent des crimes imprescriptibles. »
- L’article 40 prévoit que : « La protection de l’environnement et la promotion de la qualité de la vie sont un devoir pour la communauté et pour chaque personne physique ou morale. L’État s’engage à protéger son espace maritime, ses cours d’eau, ses parcs naturels ainsi que ses sites et monuments historiques contre toutes formes de dégradation. L’État et les collectivités publiques prennent les mesures nécessaires pour sauvegarder la faune et la flore. En cas de risque de dommages pouvant affecter de manière grave et irréversible l’environnement, l’État et les collectivités publiques s’obligent, par application du principe de précaution, à les évaluer et à adopter des mesures nécessaires visant à parer à leur réalisation. »
- L’article 101 précise que la loi détermine les principes fondamentaux de la protection de l’environnement et du développement durable.
- Les articles 124 et 125 prévoient aussi que le gouvernement peut conclure des accords d’association ou d’intégration, comprenant la coopération en matière de protection de l’environnement et de gestion des ressources naturelles.
De plus, l’article 32 de la Constitution comprend un engagement au nom de l’État qui garantit les besoins spécifiques des personnes vulnérables, comme « prendre les mesures nécessaires pour prévenir la vulnérabilité des enfants, des femmes, des mères, des personnes âgées et des personnes en situation de handicap. »
L’article 123 précise également que « les traités ou accords régulièrement ratifiés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve, pour chaque traité ou accord, de son application par l’autre partie. » La Côte d’Ivoire a ratifié une série de conventions relatives à la protection de l’environnement2 .
B. Les droits constitutionnels ont-ils été appliqué par les tribunaux nationaux en ce qui concerne les questions environnementales ?
Il n’existe que peu de décisions relatives aux déchets et à la protection des forêts, dont :
- Le jugement no 463 du 25 septembre 1996, Tribunal de première instance de Daloa, section de Sassandra,
- Le jugement no 599 PEN/14 du 4 novembre 2014, Tribunal de première instance de Man,
- L’arrêt no 359 du 24 décembre 2010, Cour d’appel d’Abidjan, « Affaire Probo Koala ».
La plupart des affaires sont portées devant le juge pénal, qui condamne les auteurs au lieu d’adopter une approche préventive3 .
Le ministre de l’Environnement et du Développement durable a signalé que si les droits constitutionnels en matière environnementale et le Code de l’environnement n’ont pas été appliqués, c’est parce que les magistrats ne sont pas nécessairement bien informés sur les questions relatives au droit de l’environnement et son application4. Pour remédier à ce problème, le ministère de l’Environnement et du Développement durable, en collaboration avec le ministère de la Justice, des Droits de l’homme et des Libertés publiques, a lancé en 2015 une initiative de formation visant à améliorer les connaissances environnementales des magistrats de Côte d’Ivoire5.
C. Le concept d'équité intergénérationnelle a-t-il été appliqué au sein des juridictions nationales ? Si tel est le cas, dans quelles circonstances ?
Nous n’avons pas été en mesure de trouver de décisions de tribunaux nationaux de Côte d’Ivoire au sujet de l’application du concept d’équité intergénérationnelle.
D. Quelle législation est en place pour réglementer la protection de l'environnement ? Existe-t-il des propositions de réformes juridiques actuellement en cours d'examen au sein de la législature nationale ?
Le Code de l’environnement6 définit le cadre général de protection environnementale en Côte d’Ivoire. Il comprend, entre autres, les décrets suivants :
- Décret no 96-894 du 8 novembre 1996 déterminant les règles et procédures applicables aux études relatives à l’impact environnemental des projets de développement ;
- Décret no 97-393 du 9 juillet 1997 portant création et organisation d’un établissement public à caractère administratif dénommé Agence Nationale de l’Environnement (ANDE) ;
- Décret no 97-678 du 3 décembre 1997 portant protection de l’environnement marin et lagunaire contre la pollution ;
- Décret no 98-19 du 14 janvier 1998 portant création et organisation du Fonds National de l’Environnement (FNDE) ;
- Décret no 98-42 du 28 janvier 1998 portant organisation du Plan d’urgence de lutte contre les pollutions accidentelles en mer, en lagune et dans les zones côtières ;
- Décret no 98-43 du 28 janvier 1998 relatif aux installations classées pour la protection de l’environnement ; et
- Décret no 98-38 du 28 janvier 1998 relatif aux mesures générales d’hygiène en milieu du travail.
Le Code de l’environnement de 1996 a été réformé pour s’adapter à de nouvelles exigences nationales et internationales, notamment relever les défis environnementaux actuels relatifs à l’érosion côtière, au changement climatique et aux inondations7, et pour être en adéquation avec l’Accord de Paris, que la Côte d’Ivoire a signé et ratifié8. En septembre 2019, un séminaire a été organisé entre le ministre de l’Environnement et du Développement durable, l’Agence nationale pour l’environnement et le développement durable et la Banque mondiale pour échanger sur des réformes du Code de l’environnement. Le Code a été finalisé à la fin du mois de septembre 20209. Toutefois, à la date de publication de ce rapport, le Parlement de Côte d’Ivoire n’avait pas encore validé le projet du nouveau Code de l’environnement pour adoption.
Outre le Code de l’environnement, la législation de Côte d’Ivoire en matière de protection de l’environnement comprend les lois suivantes:
- Loi no 88-651 du 7 juillet 1988 portant sur la protection de la santé publique et de l’environnement contre les effets des déchets industriels toxiques et nucléaires et des substances nocives ;
- Loi no 98-755 du 23 décembre 1998 sur le Code de l’eau ;
- Loi no 99-477 du 2 août 1999 modifiée par l’ordonnance no 2012-03 du 11 janvier 2012 sur le Code de prévoyance sociale ;
- Loi no 2014-138 du 24 mars 2014 sur le Code minier ;
- Loi no 2014-390 du 20 juin 2014 d’orientation sur le développement durable ;
- Loi no 2014-427 du 14 juillet 2014 sur le Code forestier ; et
- Loi no 2015-532 du 20 juillet 2015 sur le Code du travail10.
Autres sources et décrets législatifs :
- Loi no 2019-675 du 23 juillet 2019 portant sur le Code forestier (nouveau code forestier en vigueur) ;
- Décret du 20 octobre 1926 sur la réglementation des établissements dangereux, insalubres ou incommodes ;
- Loi no 65-425 portant sur le Code forestier de 1965 modifiée par la loi no 66-37 sur la loi des Finances pour l’exercice 1966 ;
- Décret no 74-526 portant sur la répartition des taxes sur les établissements dangereux, insalubres ou incommodes de 1974 ;
- Décret no 91-662 portant sur la création d’un Centre ivoirien antipollution (CIAPOL) 1991 ;
- Loi no 88-651 portant sur la protection de la santé publique et de l’environnement contre les effets des déchets industriels toxiques et nucléaires et des substances nocives 1988 ;
- Loi no 98-755 portant sur le Code de l’eau de 1998.
En 2018, le nouveau Code des investissements a renforcé les obligations des entreprises à promouvoir le développement durable. L’article 36 a introduit de nouvelles obligations pour les investisseurs de se conformer aux lois et règlements en vigueur en matière de protection de l’environnement et aux normes internationales11.
E. Existe-t-il une politique nationale spécifique traitant de l'exposition des enfants aux substances toxiques ? Si tel est le cas, comment est défini un niveau d'exposition et de quelle manière sont déterminés les niveaux d'exposition sans danger ?
Aucune politique nationale spécifique concernant l’exposition des enfants aux substances toxiques n’a été identifiée dans le cadre d’une recherche de ressources accessibles au public.
F. Le pays est-il équipé de registres des rejets et transferts de polluants ? Si tel est le cas, ces registres prennent-ils en compte des facteurs spécifiques aux enfants concernant les substances pour lesquelles des données ont été collectées et le type de données a été généré ?
Le gouvernement a développé un système d’information environnementale (SIE) pour coordonner la collecte de données à des fins de planification et de prise de décision12. Le Programme des Nations unies pour l’environnement a travaillé avec la Commission nationale REDD+ pour élaborer une feuille de route en 2018, en collaboration avec le ministre de l’Environnement et du Développement durable (MINEDD) et le CSRS, un centre de recherche créé en 1951. Il détaille les objectifs et les stratégies pour développer le système d’information sur les sauvegardes environnementales et sociales13.
Le pays a également développé une « Planification d’actions nationales en vue de la réduction des polluants climatiques à courte durée de vie (SLCP)14 » avec pour objectif de faire l’inventaire des émissions de SLCP et d’identifier des mesures pour réduire les émissions de ces polluants en Côte d’Ivoire15. Des sources spécifiques de carbone suie et de méthane ont été identifiées comme prioritaires sur la base de leur potentiel d’atténuation et de leur faisabilité dans le contexte national. Des mesures ont été attribuées dans le cadre de la planification des actions visant à réduire la priorité des SLCP16. Cependant, la collecte d’informations pour ce projet ne semble pas tenir compte des facteurs spécifiques aux enfants.
G. L'État exerce-t-il une compétence extraterritoriale pour toute question environnementale ?
Aucune affaire concernant l’environnement et dans laquelle la Côte d’Ivoire a exercé une compétence judiciaire extra territoriale n’a été identifiée dans le cadre d’une analyse de ressources numériques accessibles au public. L’affaire du Probo Koala en août 2006 relate le cas d’un navire affrété par Trafigura, une entreprise multinationale néerlandaise de négoce de pétrole, qui a illégalement déversé ses déchets à Abidjan. Cette affaire a donné lieu à des actions ivoiriennes potentielles contre Trafigura, une entité néerlandaise, mais un accord a finalement été conclu entre les deux parties17. Le 13 février 2007, Trafigura et le gouvernement de Côte d’Ivoire sont parvenus à un accord en vertu duquel la multinationale s’engageait à verser à l’État ivoirien la somme de 195 millions de dollars pour indemniser les victimes et financer les opérations de nettoyage18. Selon l’accord, le gouvernement renonce à toute poursuite contre Trafigura19.
II. Accès aux tribunaux
A. Comment les affaires environnementales peuvent-elles être portées devant les tribunaux nationaux ?
Le droit d’accès à la justice pour des affaires liées à l’environnement se base sur le droit d’accès à la justice en général. En effet, l’article 6 de la Constitution précise que « toute personne à un libre et égal accès à la justice20 ». Comme défini dans la section I.A, la Constitution consacre le droit de l’environnement à travers les articles 27 et 40. À l’égard des principes généraux du droit de l’environnement, les aspects universels de ces principes ressortent.
L’article 110 de la loi no 96-766 du 3 octobre 1996, créant le Code de l’environnement, prévoit que : « Les collectivités locales, les associations de défense de l’environnement régulièrement déclarées ou toutes personnes doivent saisir l’Autorité Nationale Compétente avant tout recours devant les juridictions et/ou exercer les droits reconnus à la partie civile en ce qui concerne les faits constituant une infraction relevant de la présente loi et portant un préjudice direct ou indirect aux intérêts collectifs ou individuels21 ». En effet, l’organisation du système judiciaire ivoirien donne aux tribunaux de première instance la compétence de juger entre autres les litiges relatifs à l’environnement ou les déchets. Par ailleurs, l’article 33 du Code de l’environnement, relatif au droit de vivre dans un environnement sain et équilibré, prévoit que « lorsqu’un tribunal statue sur une demande, il prend notamment en considération, l’état des connaissances scientifiques, les solutions adoptées par les autres pays et les dispositions des instruments internationaux22 ».
De plus, les juges civils ainsi que les juges pénaux de Côte d’Ivoire ont la compétence pour se prononcer sur les affaires relatives à l’environnement. L’article 5 du Code de procédure civile, commerciale et administrative23 prévoit que : « Les Tribunaux de première instance et leurs sections détachées, connaissent de toutes les affaires civiles, commerciales, administratives et fiscales pour lesquelles compétence n’est pas attribuée expressément à une autre juridiction en raison de la nature de l’affaire ».
B. Quelles règles de qualité pour agir s'appliquent dans les affaires environnementales ?
L’article 110 du Code de l’environnement est rédigé de manière générale et permet que « [l]es collectivités locales, les associations de défense de l’environnement régulièrement déclarées ou toutes personnes (…) » puissent intenter des recours. De ce fait, chacun devrait être en mesure d’intenter une action pour atteinte à l’environnement, y compris les individus, les groupes d’individus ou les organisations, conformément au processus décrit ci-après au paragraphe (C) de la Section III (Recours).
C. Ces règles de qualité pour agir diffèrent-elles lorsque des enfants sont les plaignants et, si tel est le cas, de quelle manière ?
Selon l’article 32 de la Constitution, l’État assure la protection des enfants. Le Code de procédure civile, commerciale et administrative stipule que : « Toute personne physique ou morale, personnellement ou par l’intermédiaire de son représentant légal ou statutaire, peut assurer la défense de ses intérêts devant toutes les juridictions24 ».
De ce fait, les enfants ou leurs représentants peuvent intenter un recours pour violation de leurs droits devant les juridictions nationales. En Côte d’Ivoire, les enfants sont définis comme mineurs lorsqu’ils n’ont pas atteint l’âge de 18 ans accomplis25. Pour toutes les procédures judiciaires, les enfants, tels que définis précédemment, doivent être représentés par un adulte26. Les parents (même s’ils sont mineurs), sont qualifiés pour représenter leurs enfants devant les tribunaux. Toutefois, les actes présentant un intérêt personnel pour les mineurs de plus de 16 ans, notamment ceux relatifs à leur condition ou impliquant leur personne physique, peuvent uniquement être réalisés avec leur consentement.
En vertu de la Loi relative à la minorité, un mineur doit être représenté par l’un ou l’autre de ses parents, ou par son tuteur dans l’éventualité où ses deux parents seraient décédés27. Par conséquent, dans la plupart des systèmes juridiques, y compris celui de Côte d’Ivoire, les enfants mineurs ne peuvent faire un pourvoi auprès d’un juge que par le biais d’un représentant (parents, association, administrateurs ad hoc). Les enfants peuvent ainsi intenter une action civile par l’intermédiaire de leurs parents ou d’une association des droits de l’enfant agissant en leurs noms.
D. Quelles sont la charge et le niveau de la preuve pour les allégations de préjudice personnel résultant d'une exposition aux substances toxiques ?
La charge de la preuve incombe au plaignant. Dans le cadre de procédures pénales avec constitution de partie civile, c’est au procureur général qu'incombe la charge de la preuve.
En droit ivoirien, à la différence des procédures pénales, les procédures civiles (et commerciales) sont principalement accusatoires et, de ce fait, ce caractère se reflète dans le processus de recherche de preuves. La charge de l’allégation et la charge de la preuve reposent sur les plaideurs. La personne qui allègue doit apporter la preuve. Le juge statue sur le litige que les plaideurs lui soumettent tels qu’ils le lui présentent et tel qu’ils l’exposent dans leurs conclusions. La saisine du juge est, en effet, encadrée par la citation et par les conclusions additionnelles, qui vont déterminer sa compétence. Le juge ivoirien statue sur pièces et l’article 54 du Code de procédure civile oblige les parties à produire des pièces au dossier « dans un délai fixé dans la décision qui l’ordonne et pendant lequel les parties doivent, si les pièces sont en leur possession, les déposer au dossier ou, si elles ne les détiennent pas elles-mêmes, faire diligence pour qu’elles y soient versées ».
E. Quels sont les délais de prescription dans les affaires environnementales ?
L’article 109 du Code de l’environnement déclare que « [l]a poursuite des infractions relevant du présent code obéit aux règles définies par le code de procédure pénale ». En droit ivoirien, les délais de prescription applicables sont d’un an pour les contraventions, trois ans pour les délits et 10 ans pour les crimes à compter du jour où ils ont été commis.
Il se peut que le statut de prescription d’indemnisation prévue par les règles de la responsabilité civile en droit ivoirien ne corresponde pas à la réalité du préjudice écologique pur. Les prescriptions par un délai fixe ne tiennent pas compte du temps de réaction de la nature et de la manifestation des dégradations, qui ne suivent aucune contrainte temporelle. Par conséquent, les délais de prescription peuvent rendre difficile la mise en place d’actions de réparation des dommages causés à l’environnement.
F. Une aide juridique est-elle accessible dans les affaires environnementales ? Si oui, dans quelles circonstances ?
L’Ordre national des avocats offre des consultations juridiques gratuites28. De plus, en 2016, le décret no 2016-781 a introduit une innovation majeure, en établissant des bureaux de consultation juridique dans 36 tribunaux afin de faciliter l’accès des citoyens à la justice29.
III. Réparations juridiques
A. Quelles réparations juridiques peuvent être imposées par les tribunaux dans les affaires environnementales ?
Les réparations disponibles en droit ivoirien comprennent la réparation de dommages écologiques par l’application des règles de responsabilité civile et de responsabilité environnementale imposées par le Code de l’environnement. La difficulté majeure de cette méthode de réparation est la détermination du niveau de dommages. Il est généralement difficile pour les juges de quantifier d’un point de vue monétaire la valeur des dommages écologiques, qui ne sont pas de nature pécuniaire. L’une des approches possibles est l’évaluation contingente, qui consiste à déterminer une valeur monétaire servant de compensation aux milieux naturels détruits. Une autre approche consiste à procéder à une évaluation monétaire pour la remise en état, par exemple pour assainir le site pollué par le déversement de déchets. En tout état de cause, la difficulté persiste puisque la question de fond est celle de la valeur marchande des éléments de la nature 30B. Quelles réparations ont à ce jour été ordonnées par les tribunaux dans des affaires environnementales ?
La rareté de litiges limite la possibilité pour les tribunaux et juges de développer une jurisprudence sur les réparations disponibles dans le cas de préjudices écologiques, notamment sur la manière de quantifier les dommages écologiques. Par exemple, la Chambre administrative de la Cour suprême de Côte d’Ivoire n’a pas encore reçu de réclamations concernant une infraction au droit de l’environnement. Par conséquent, elle n’a pas encore eu besoin d’appliquer ou d’identifier des principes généraux concernant l’environnement31.
Dans le rare cas où une affaire environnementale a été portée devant un tribunal en Côte d’Ivoire, à la suite de l’affaire du Probo Koala susmentionnée, la Cour ivoirienne n’a pas considéré appropriées les réparations concernant les déchets jetés aux alentours de la ville d’Abidjan parce que seules des actions criminelles ont fait l’objet d’un procès. Le gouvernement a accepté d’abandonner toutes les poursuites et les réclamations après qu’un accord ait été conclu avec Trafigura32. Deux individus ont été condamnés pour empoisonnement et pour violation de la santé publique et des lois environnementales (ou de complicité), mais aucune de ces personnes n’est employée par Trafigura33. De plus, lorsque les juges de la Cour d’appel de Daloa ont eu l’occasion de se prononcer sur les atteintes à l’environnement, ces derniers ont préféré éviter le sujet en reclassant la dégradation des sols et de l’environnement en violation du droit de propriété34.
C. Existe-t-il des autorités administratives habilitées à donner suite aux plaintes en matière d'environnement et si oui, comment sont-elles habilitées à répondre aux plaintes ?
Les articles 108, 109 et 110 du Code de l’environnement définissent le cadre dans lequel les plaintes relatives à l’environnement peuvent être déposées auprès de l’autorité nationale compétente, comme le ministère de l’Environnement qui, selon les dispositions de l’article 108, est habilité à régler les demandes de dommages et intérêts liées à l’environnement ou les infractions au Code. En vertu de l’article 110 du Code de l’environnement, avant toute action en justice, il est d’abord nécessaire d’en informer le ministère de l’Environnement. Ce processus présente des avantages tant pour les parties que pour l’administration de justice, mais peut entraîner une diminution des actions portées devant les tribunaux ivoiriens et un développement limité de la jurisprudence des juges en matière de déchets ou d’environnement35.
IV. Les droits civils et politiques
La liberté de réunion pacifique
A. Comment le droit des enfants de se réunir pacifiquement, y compris à participer à des manifestations, est-il protégé dans la législation nationale ?
L’article 20 de la Constitution prévoit que « [l]es libertés d’association, de réunion et de manifestation pacifiques sont garanties par la loi ». Étant donné que la Constitution s’applique à tous les citoyens, y compris les enfants, les articles cités ci-dessus, et en particulier l’article 20, protègent le droit des enfants à participer à des réunions pacifiques.
La Côte d’Ivoire a ratifié le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) de 1966 et la Convention relative aux droits de l’enfant (CDE) qui garantissent le droit de réunion pacifique36. La Côte d’Ivoire est aussi un État membre du Premier protocole facultatif se rapportant au PIDCP, ce qui permet à tout particulier de présenter une communication écrite au Comité des droits de l’homme s’il estime être victime d’une violation de l’un quelconque des droits énoncés dans le Pacte.
B. Existe-t-il des limitations légales au droit des enfants de participer à des réunions pacifiques?
Il n’existe aucune restriction basée sur la Constitution. Selon l’article 21 du PIDCP, l’exercice du droit de réunion pacifique ne peut faire l’objet que des seules restrictions imposées conformément à la loi et qui sont nécessaires dans une société démocratique, dans l’intérêt de la sécurité nationale, de la sûreté publique, de l’ordre public ou pour protéger la santé ou la moralité publiques, ou les droits et les libertés d’autrui.
L’article 185 du Code pénal prévoit que quiconque, par parole ou menaces, par la violence ou la force ou de toute autre manière, trouble, empêche ou disperse une réunion, une manifestation, un cortège ou une assemblée, de quelque nature qu’elle soit, régulièrement déclarée ou autorisée, est puni d’une peine de détention d’un à six mois.
Cependant, certains rapports ont souligné le fait que les réunions pacifiques organisées par des organisations de la société civile et par des groupes sont régulièrement interdites et dispersées par la police et la gendarmerie, qui font usage d’une force excessive, surtout en période électorale37.
C. Quelles sanctions peuvent être imposées aux enfants qui participent à des grèves scolaires ?
Le droit national s’applique à tous les citoyens, peu importe leur âge. Selon le droit national, les assemblées et les manifestations doivent être déclarées en amont, mais les responsables ne sont pas formellement tenus d’obtenir une autorisation. Si les autorités publiques considèrent que l’assemblée menace le droit et l’ordre, elles peuvent l’interdire38.
Selon le Code pénal de 1981, tout attroupement armé dans un lieu public ou tout attroupement qui pourrait « troubler la tranquillité publique » est interdit. Toute personne non armée refusant de se plier à un ordre de dispersion peut être punie de deux mois à un an d’emprisonnement. Cette peine peut aller jusqu’à trois ans si une personne non armée fait partie d’un attroupement armé qui refuse de se disperser. Faire une déclaration inexacte au sujet d’une manifestation sur la voie publique est passible d’une lourde amende et d’une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à six mois. Toute personne participant à une manifestation illégale risque une peine d’emprisonnement pour une durée similaire.
La liberté d'expression
A. Comment le droit des enfants à la liberté d'expression est-il protégé par la législation nationale ? Existe-t-il des protections dans la Constitution nationale, la loi ou établies par la jurisprudence ?
L’article 19 de la Constitution protège le droit à la liberté d’expression de tous les citoyens. Il stipule que : « La liberté de pensée et la liberté d’expression, notamment la liberté de conscience, d’opinion philosophique et de conviction religieuse ou de culte, sont garanties à tous. » Il précise également que : « Chacun a le droit d’exprimer et de diffuser librement ses idées ».
Le paragraphe 2 de l’article 11 de la Loi de 1995 relative à l’Enseignement garantit la liberté d’expression en milieu scolaire. Toutefois, certains rapports ont souligné que les enfants n’ont pas la possibilité de partager leur opinion39.
L’article 13 de la Convention des droits de l’enfant garantit la liberté d’expression. Dans ses recommandations, le Comité des droits de l’enfant encourage l’État partie à promouvoir et à faciliter, au sein de la famille et dans les écoles, les tribunaux et les organes administratifs, le respect des opinions de l’enfant et leur participation à toutes les questions les concernant, eu égard à leur âge et à leur degré de maturité40.
B. Existe-t-il des limites ou des restrictions légales au droit à la liberté d'expression qui s'appliquent spécifiquement aux enfants ?
Les restrictions au droit à la liberté d’expression s’appliquent à tous les citoyens et sont exposées dans l’article 19 de la Constitution, qui stipule que la liberté d’expression s’exerce « sous la réserve du respect de la loi, des droits d’autrui, de la sécurité nationale et de l’ordre public ».
Par ailleurs, la Constitution spécifie que : « Toute propagande ayant pour but ou pour effet de faire prévaloir un groupe social sur un autre, ou d’encourager la haine raciale, tribale ou religieuse, est interdite. »
La liberté d'association
A. Comment le droit des enfants à la liberté d'association est-il protégé par la législation nationale ? Existe-t-il des protections dans la Constitution nationale, la loi ou établies par la jurisprudence ?
L’article 20 de la Constitution garantit le droit à la liberté d’association. L’article 2 de la Loi de 1960 relative aux associations stipule que « [l]es associations de personnes peuvent se former librement ». La procédure de création d’une association est précisée dans le chapitre II. À la suite du déversement de déchets toxiques en Côte d’Ivoire en août 2006, plusieurs associations de victimes se sont formées librement pour obtenir compensation pour le préjudice subi. Ces associations comprennent, entre autres :
- l’Union des victimes des déchets toxiques d’Abidjan et banlieues (UVDTAB) ;
- la Coordination nationale des victimes des déchets toxiques (CNVDT).
- AFHON_Côte d’Ivoire, association de jeunesse engagée pour la cause environnementale, a été créée en 2011 pour promouvoir l’environnement et le développement durable41.
B. Existe-t-il des limites ou des restrictions légales à la liberté d'association qui s'appliquent spécifiquement aux enfants ?
La création d’une association nécessite la majorité civile. Par conséquent, les enfants ne sont pas directement autorisés à en créer, ils doivent être représentés par un adulte. En 2010, le processus a été facilité par le ministère de la Femme, de la Famille et de l’Enfant pour soutenir la reconnaissance des Groupements d’Enfants au sein des communautés42. Dans un rapport alternatif du Comité des droits de l’enfant, le Forum des ONG et les Associations d’Aide à l’Enfance en Difficulté ont souligné que l’incapacité de l’enfant demeure un obstacle à la formalisation et la responsabilisation des organisations d’enfants43.
L’accès à l’information
A. Comment le droit des enfants à accéder aux informations est-il protégé par la législation nationale ? Existe-t-il des protections dans la constitution nationale, la loi ou établies par la jurisprudence ?
L’article 18 de la Constitution déclare que « [l]es citoyens ont droit à l’information et à l’accès aux documents publics, dans les conditions prévues par la loi ». Ce droit est applicable à tous les citoyens, y compris les enfants. La loi no 2004-643 prévoit des dispositions spécifiques pour la protection des enfants et des jeunes contre toutes formes d’abus et de violence.
B. Existe-t-il des limites ou des restrictions légales au droit d'accès à l’informations qui s'appliquent spécifiquement aux enfants ?
Aucune restriction applicable uniquement aux enfants n’a été identifiée jusqu’à présent.
C. Le programme scolaire national comprend-il une éducation à l'environnement ?
La protection de l’environnement et du développement durable fait partie du programme scolaire des écoles primaires et secondaires. Au fil des années, les enfants en apprennent davantage. Cela inclut la célébration de la journée nationale de l’environnement, la participation dans un club environnemental, un apprentissage plus poussé du Code de l’environnement et des conséquences de la sylviculture sur l’environnement. L’environnement est considéré comme une compétence essentielle44.
Dans les écoles secondaires, les étudiants approfondissent leurs connaissances sur cette problématique en particulier, à l’aide d’études de cas et de méthodes pour préserver l’environnement, et développent des stratégies spécifiques. Plus tard dans leurs études et en fonction de leurs spécialisations, les étudiants continuent d’acquérir des connaissances, notamment pour comprendre l’impact de l’exploitation pétrolière ou minière sur l’environnement45.
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Notes de fin de page
1 Constitution de la Côte d’Ivoire de 2016, disponible ici.
2 Une liste est disponible ici. (consulté le 24 octobre 2022).
3 Ebah P. « Les juridictions ivoiriennes et burkinabè à l’épreuve de la répression des infractions environnementales : avancées, reculs ou stagnation ? », Revue africaine du droit de l’environnement, no 5, 2020, disponible ici, (consulté le 24 Ocotbre 2022).
4 Ministre de l’Environnement et du Développement durable, « Vers la spécialisation des magistrats nationaux en droit de l’environnement », publié le 19 novembre 2015.
5 Ibid.
6 Loi no 96-766 du 3 octobre 1996 portant Code de l’environnement, voir ici.
7 Ministère de l’Environnement et du Développement durable de Côte d’Ivoire, « Révision du Code de l’Environnement : La Côte d’Ivoire vise un instrument juridique fort », publié le 14 septembre 2019.
8 Afrik 21, « Côte d’Ivoire : vers une réforme de la loi de 1996 sur l’environnement », publié le 23 septembre 2019, disponible ici.
9 Ministère de l’Environnement et du Développement durable de Côte d’Ivoire, « Défis environnementaux et changements climatiques : L’ANDE finalise le nouveau Code de l’Environnement de la Côte d’Ivoire », publié le 30 septembre 2020.
10 Consulter également le rapport du ministère des Infrastructures Économiques intitulé « Environmental Safeguards Instruments Summary – Project to support the Competitiveness of the Great Abidjan », disponible ici. La page 26 présente une liste des cadres législatifs et institutionnels examinés lors de l’élaboration d’une évaluation des incidences environnementales et sociales. Voir également le rapport de la Cour suprême de Côte d’Ivoire sur le droit pénal de l’environnement, disponible ici. Rapport de la Cour suprême de Côte d’Ivoire sur le droit pénal de l’environnement (2013), « Le juge administratif et le droit de l’environnement », disponible ici.
11 Voir ici.
12 Climate Technology Centre & Network, « Development of an environmental information system – Côte d’Ivoire », disponible ici.
13 MINEDD, « Développement d’un système d’information sur les sauvegardes environnementales et sociales pour la Côte d’Ivoire », disponible ici.
14 Ministère de l’environnement et du développement durable de la Côte d’Ivoire, « Document de planification d’actions nationales en vue de la réduction des polluants climatiques de courte durée de vie », disponible ici
15 Ibid, page 10.
16 Ibid, page 13.
17 Amnesty International et Greenpeace, « Une vérité toxique à propos de Trafigura, du Probo Koala et du déversement de déchets toxiques en Côte d’Ivoire », publié en septembre 2012, disponible ici. Notez que l’action de groupe contre Trafigura, intentée par 30 000 requérants ivoiriens, auprès des tribunaux du Royaume-Uni a aussi été réglée à l’amiable avec un paiement d’environ 1 500 dollars par requérant. Les procureurs néerlandais ont aussi reconnu Trafigura Beheer BV coupable notamment pour exportation illégale de déchets en violation du règlement européen sur le transfert de déchets. De plus amples détails sont élaborés dans le rapport d’Amnesty International et de Greenpeace.
18 Ibid, p. 5.
19 Ibid, p. 5.
20 Constitution de la Côte d’Ivoire, disponible ici.
21 Loi no 96-766 du 3 octobre 1996 portant Code de l’environnement, art. 110, voir ici.
22 Code de l’environnement, art. 33.
23 Code de procédure civile, art. 5.
24 Code de procédure civile, commerciale et administrative, titre II, chapitre I, art. 19, disponible ici
25 Loi relative à la minorité, 26 juin 2019, art. 1 et 33, disponible ici; Code pénal ivoirien, art. 113, disponible ici.
26 Rapport initial de la Côte d’Ivoire au Comité des Droits de l’enfant de l’ONU, CRC/C/8/Add.41, 27 avril 2000., § 35
27 Loi relative à la minorité, 26 juin 2019, art. 1 et 33, disponible ici
28 Voir ici, (consulté le 1 mars 2021).
29 Voir ici, (consulté le 1 mars 2021).
30 N. Dumax, La réparation économique du préjudice écologique, publié en 2009, p. 51.
31 Cour suprême de Côte d’Ivoire, Congrès de Carthagène (2013), « Le juge administratif et le droit de l’environnement », disponible ici
32 Amnesty International et Greenpeace, « Une vérité toxique à propos de Trafigura, du Probo Koala et du déversement de déchets toxiques en Côte d’Ivoire », publié en septembre 2012.
33 Ibid
34 Arrêt no 206 du 30 mai 2001, Cour d’appel de Daloa.
35 Baudelaire N’Guessan, La réparation du dommage à l’environnement du fait des déchets simples en Côte d’Ivoire, Université Côte d’Azur, publié en 2019, disponible ici.
36 Art. 21 du PIDCP et art. 15 du CDE.
37 Voir par exemple, Amnesty International, « Côte d’Ivoire : la situation en matière de droits humains reste fragile », 2019, disponible ici.
38 Pour plus d’informations sur les sanctions encourues pour attroupements illégaux, voir le Code pénal de Côte d’Ivoire de 1981, disponible ici.
39 Forum des ONG et associations d’aide à l’enfance en difficulté, « Rapport complémentaire sur la mise en œuvre de la Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant par la République de Côte d’Ivoire », 2018, disponible ici.
40 Comité des droits de l’enfant, Rapport de l’État partie, 2017, disponible ici.
41 Voir ici.
42 Arrêté no 147 portant création, attribution et organisation des Groupements d’Enfants au sein des communautés. Comme mentionné par la Commission nationale des droits de l’homme en 2012, disponible ici.
43 Forum des ONG et Associations d’Aide à l’Enfance en Difficulté, op. cit.
44 Voir : Direction de la Pédagogie et de la formation continue, les programmes éducatifs pour les écoles primaires sont disponibles ici.
45 Voir : Direction de la Pédagogie et de la formation continue, les programmes éducatifs pour les écoles primaires sont disponibles ici.