Chiffrement des données et accès des enfants à l’information
L’accès des enfants à l’information est parfois restreint de façon disproportionnée, dans le but soi-disant de les protéger. Cet aspect est donc au cœur des débats autour du chiffrement, de la vie privée et de la protection des données. Afin de marquer la Journée internationale de l’accès universel à l’information, nous explorons certaines questions et certains sujets de tensions à travers le prisme de l’accès des enfants à l’information.
Tous les enfants ont un droit fondamental d’accès à l’information. Celui-ci est à la base de la manière dont les enfants appréhendent le monde qui les entoure et dont ils exercent leurs autres droits ; il leur permet également de faire des choix éclairés tout au long de leur vie. Malgré cela, cet accès à l’information est parfois soumis à des restrictions disproportionnées sous le prétexte, parfois discutable, de la protection de l’enfance (en anglais), ces restrictions limitant par exemple l’accès à des informations sur la santé, la politique, la religion ou les relations et l’éducation sexuelle. C’est dans ce contexte que l’impact du chiffrement des données sur l’accès des enfants à l’information vient remettre en question le clivage « vie privée contre protection » dans la manière dont les enfants utilisent la technologie.
Quels sont les droits des enfants en matière d’accès à l’information ?
L’Article 13 de la Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant énonce le droit fondamental des enfants à la liberté d’information, qui protège leur « liberté de rechercher, de recevoir et de répandre des informations et des idées de toute espèce ». De plus, l’Article 17 prévoit que « les États parties reconnaissent l’importance de la fonction remplie par les médias et veillent à ce que l’enfant ait accès à une information […] provenant de sources nationales et internationales diverses, notamment celles qui visent à promouvoir son bien-être social, spirituel et moral ainsi que sa santé physique et mentale ».
Cependant, la Convention prévoit également des restrictions concernant l’accès des enfants à l’information qui sont « prescrites par la loi et qui sont nécessaires au respect des droits ou de la réputation d’autrui ; ou à la sauvegarde de la sécurité nationale, de l’ordre public, de la santé ou de la moralité publiques ». La Convention exige aussi des États qu’ils « favorisent l’élaboration de principes directeurs appropriés destinés à protéger l’enfant contre l’information et les matériels qui nuisent à son bien-être ».
Les enfants, notamment ceux issus de groupes marginalisés ou défavorisés, peuvent utiliser des canaux chiffrés pour rechercher, recevoir et transmettre des informations sur une grande variété de sujets, sans craindre d’être pris pour cible. | La diffusion « d’informations négatives »(en anglais) comme la désinformation ou les discours haineux par le biais de canaux chiffrés peut amener les enfants à s’autocensurer lorsqu’ils cherchent des informations. Les enfants ne peuvent pas accéder à certaines informations cryptées qui présentent pourtant un intérêt pour eux ou pour le grand public. | |
Il existe un risque que le caractère du langage utilisé dans l’Article 17 de la CDE, qui se veut protecteur, soit détourné dans le but de justifier l’interdiction de l’accès à certains types d’informations disponibles pour les enfants (par exemple, l’interdiction de « la propagande homosexuelle » en Russie et dans certains pays d’Europe de l’Est et d’Asie centrale) ou mal appliqué afin de promouvoir des préjugés chez les enfants (par exemple, au moyen d’une propagande raciste). Lorsque c’est le cas, les différents acteurs engagés dans la lutte contre ce détournement abusif du langage peuvent utiliser des canaux chiffrés afin d’éviter d’être pris pour cible. | Les canaux chiffrés peuvent être utilisés dans le but de diffuser des informations qui nuisent au bien-être de l’enfant, tels que des contenus à caractère pédophile ou des discours haineux. |
Exemples de scénarios
Afin de protéger les enfants des « informations préjudiciables », l’une des mesures de restrictions de l’accès à l’information (en anglais) qui a pu être proposée est la criminalisation de la « promotion de l’homosexualité auprès des enfants » (en anglais). Dans ce cas, le chiffrement affecte de manière disproportionnée les enfants LGBT+, en particulier ceux qui vivent dans des pays où l’homosexualité est stigmatisée ou criminalisée. Les plateformes chiffrées permettent alors à ces enfants d’accéder à des informations qui les aident, par exemple, à comprendre leur sexualité, à répondre à leurs potentielles interrogations à propos de la santé mentale et physique, et à entrer en contact avec d’autres membres de leur communauté.
Pour les enfants qui vivent sous le joug de régimes répressifs pratiquant la censure d’Internet, le chiffrement joue également un rôle important en leur facilitant l’accès à l’information, en leur donnant par exemple l’occasion de rechercher et de recevoir des éléments d’informations émanant d’opposants au régime.
Le chiffrement peut également affecter de façon disproportionnée les enfants issus de minorités religieuses dans l’exercice de leur droit d’accès à l’information. En Angleterre par exemple, les écoles ont reçu des directives qui leur imposent de filtrer et de surveiller tout signe de « radicalisation ». Ce type de signalement est susceptible d’être transmis au programme britannique de lutte antiterroriste Prevent (en anglais), dispositif potentiellement discriminatoire envers les enfants musulmans. D’un autre côté les canaux chiffrés peuvent aussi être utilisés afin de propager des discours haineux à l’encontre de certaines minorités religieuses, et peuvent conduire les enfants à s’autocensurer lors de leurs recherches d’informations sur leur religion, comme les façons de se réunir avec leur communauté et de pratiquer leur religion.
Enfin, l’un des aspects du discours sur les risques liés au chiffrement de l’accès à l’information qui a reçu moins d’attention jusqu’à présent concerne le mouvement open source [terme terme technique anglais, qui désignait au départ l’accès libre au code source des logiciels, et qui décrit désormais un mouvement dédié à la participation ouverte et au partage des connaissances et des compétences]. Les enfants qui en font partie croient en la démocratisation de l’accès au savoir académique, en le rendant accessible au public en ligne gratuitement. Lorsque l’accès aux articles universitaires est chiffré et n’est possible qu’après paiement des frais d’abonnement, certains de ces enfants peuvent entreprendre ce qu’ils voient comme un acte de désobéissance civile (en anglais). Ils peuvent décider de pirater certains systèmes chiffrés, quitte à violer la loi, dans le but de rendre accessible le savoir académique et d’en faire bénéficier le grand public, sans en retirer un quelconque avantage financier. Cela soulève la question difficile de la disparité d’accès à l’information à travers le monde et de la mesure dans laquelle la société est prête à accepter un activisme radical autour de l’accès ouvert [open source] à la connaissance.
Aller plus loin que la simple opposition entre « vie privée et protection »
L’observation des implications du chiffrement des données sur le droit des enfants à accéder à l’information révèle une situation complexe. Lorsqu’il est question de la jeunesse, le droit d’accès à l’information englobe à la fois vie privée et protection. Dans le débat sur l’usage du chiffrement par les enfants, une approche fondée sur leurs droits doit refléter les enjeux et les avantages que le chiffrement impose aux droits, et la manière dont l’ensemble des droits de l’enfant interagissent et se complètent entre eux.
This article is part of a series produced for a joint project between CRIN and defenddigitalme exploring a children’s rights approach to encryption. It might be further refined and updated as our own understanding of the topic develops.
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