Pourquoi le chiffrement des données et les droits de l’enfant sont-ils sujets à débat ?

 

Le débat sur le chiffrement des données et les droits de l’enfant est souvent divisé entre les approches axées sur la prévention des abus envers les enfants et celles qui mettent l’accent sur les libertés civiles. Cependant, cette polarisation occulte le fait que les droits de l’enfant se situent des deux côtés du discours. C’est pourquoi il est indispensable de trouver un terrain d’entente pour garantir la protection de ces droits.

 
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Le chiffrement des données est partout. Lorsque vous accédez à un site web sécurisé, que vous communiquez via une application de messagerie telle que WhatsApp, que vous accédez à une banque en ligne, que vous confiez vos données à un service de santé en ligne ou que vous verrouillez simplement un appareil avec un mot de passe, vous recourez au chiffrement des données. Autant pour les enfants que pour les adultes, ce chiffrement fait partie de notre quotidien et nous permet de protéger nos informations personnelles en ligne et hors ligne.

Qu’est-ce que le chiffrement des données et en quoi est-ce important pour les droits de l’enfant ?

Le chiffrement des données est une manière de protéger nos données d’un éventuel accès non autorisé. Il s’agit d’une technologie qui dissimule les informations de manière à ce qu’elles ne puissent être lues qu’à l’aide d’une clé. Une méthode de chiffrement spécifique, appelée chiffrement de bout en bout (ou E2EE en anglais pour End-to-end encryption), garantit que seuls l’expéditeur et le destinataire peuvent lire ces informations. Personne d’autre, pas même la plateforme sur laquelle l’échange d’informations a lieu, ne possède cette clé.

En ce qui concerne les droits fondamentaux de l’enfant sur lesquels le chiffrement des données a un impact, les plus évidents sont la vie privée, la liberté d’expression et d’information ainsi que le droit des enfants à la protection contre la violence. Ce chiffrement présente à la fois des avantages et des risques pour chacun de ces droits, qui sont tous essentiels pour l’enfant. Ces droits sont également interdépendants : le respect des uns est nécessaire pour assurer la jouissance des autres.

 
 
Vie privée
En limitant le nombre de personnes qui peuvent accéder aux données des enfants ou voir les informations qu’ils échangent en ligne, le chiffrement des données s’avère bénéfique pour leur vie privée. Le fait de savoir qu’ils ne sont pas surveillés en permanence, que ce soit en ligne ou hors ligne, aide les enfants à établir une relation de confiance avec leurs parents, leurs enseignants ou toute autre personne avec laquelle ils ont une relation personnelle, et les incite davantage à demander de l’aide lorsqu’ils en ont besoin.

Le respect de la vie privée et l’instauration d’un climat de confiance sont particulièrement importants pour les enfants qui risquent davantage d’être pris pour cible en raison des informations qu’ils partagent. Qu’ils soient LGBT+, des enfants autochtones, issus de minorités ethniques ou religieuses, affectés par des violences domestiques, militants politiques dans un contexte à risque ou des enfants présentant un handicap, tous sont exposés à des menaces spécifiques en ligne.
Les services chiffrés peuvent être utilisés pour la diffusion de contenus portant atteinte à la vie privée des enfants, tels que des informations non consensuelles et des documents relatifs à des abus sexuels sur enfants.
Liberté d’expression et d’information
La confidentialité de la vie privée offerte par le chiffrement des données renforce la liberté d’expression et d’information des enfants. Cela leur donne la possibilité d’exprimer leurs opinions et de rechercher, de recevoir et de diffuser des informations sur une multitude de sujets, notamment politiques, sociétaux, culturels et religieux, sans craindre des répercussions. Cela s’applique particulièrement aux enfants issus de groupes défavorisés ou marginalisés. La diffusion par l’intermédiaire de services chiffrés de ce que l’on qualifie « d’informations négatives » (en anglais), telles que la désinformation et les discours haineux, peut amener les enfants à s’autocensurer.
Protection contre les violences, y compris l’exploitation et les abus sexuels
Les services chiffrés sont en mesure de protéger les enfants en évitant qu’ils puissent être la cible de violences liées aux informations qu’ils envoient ou reçoivent, notamment lorsqu’ils font partie de groupes défavorisés ou marginalisés.

Le libre accès aux données personnelles des enfants peut les rendre vulnérables à la manipulation psychologique et à l’exploitation, mais le chiffrement permet de sécuriser leurs données.
Cependant, le chiffrement peut également favoriser la violence à l’encontre des enfants, en particulier les abus sexuels. Cela permet par exemple à leurs auteurs d’accéder à du contenu pédopornographique en ligne et de le diffuser sans être repérés, ou de préserver la confidentialité de leurs communications avec l’enfant lorsque celui-ci est victime de manipulations psychologiques, ce qui complique les processus d’enquête et de poursuites.
 
 

Où en est actuellement le débat ?

Au vu de la complexité du rapport entre chiffrement et droits de l’enfant, il n’est pas surprenant qu’un débat fasse actuellement rage autour du chiffrement et de la sécurité publique, notamment en ce qui concerne la lutte contre la pédophilie en ligne. De nombreux acteurs interviennent dans ces discussions, des décideurs politiques aux autorités chargées de l’application de la loi, en passant par les organisations de la société civile, le milieu universitaire et le secteur technologique.

Des évolutions importantes qui détermineront les normes en matière de chiffrement et de droits de l’enfant pour les années à venir sont en cours. Par exemple, l’Union européenne discute actuellement, au niveau régional, d’une nouvelle législation visant à prévenir et à combattre la pédophilie en ligne. Les différents États tentent aussi d’apporter une réponse à ce problème au niveau national. Le Royaume-Uni délibère sur son projet de loi relatif à la sécurité en ligne (Online Safety Bill) (en anglais), tandis que les États-Unis se penchent sur la responsabilité des plateformes (en anglais) en matière de contenu pédopornographique. Le secteur technologique prend également part à ce débat. En 2021, Apple a par exemple annoncé son intention de mettre en place de nouveaux dispositifs de sécurité pour les enfants, mais face aux critiques sévères des organisations de la société civile, l’entreprise a décidé (en anglais) de revoir certains de ses projets et d’en suspendre d’autres. En avril 2022, Meta a accepté (en anglais) de se conformer à la plupart des recommandations émanant d’une évaluation indépendante des droits de l’homme (en anglais) sur le chiffrement de bout en bout qu’elle avait commandée.

Le débat sur le chiffrement des données et les droits de l’enfant est souvent divisé ; entre d’une part, les approches tournées vers la protection de l’enfance, qui tendent à mettre l’accent sur les enjeux du chiffrement dans la lutte contre les violences faites aux enfants, et d’autre part, les différentes perspectives axées sur les libertés civiles, qui soulignent le rôle du chiffrement en matière de cybersécurité, de protection contre la surveillance de masse et de défense des personnes appartenant à des groupes défavorisés ou marginalisés.

Le problème étant que les acteurs de ce débat ne reconnaissent pas toujours les arguments adverses en faveur des droits de l’enfant. Le choix entre « vie privée et protection » est un faux dilemme. Les enfants ont des droits en matière de vie privée et de liberté d’expression en ligne et ces droits incluent un  élément protecteur. En affirmant le caractère privé et libre de l’expression des enfants, ces droits protègent les enfants contre toute forme de violence motivée par ce qu’ils communiquent.

Et après ?

Le débat sur le chiffrement et la lutte contre la pédophilie en ligne est complexe et suscite des inquiétudes légitimes à de nombreux égards. Aucune organisation ne dispose de toute l’expertise nécessaire pour prévenir la pédocriminalité dans un environnement numérique ou pour protéger les droits civils et politiques des enfants en ligne. Par conséquent, la teneur du débat ne changera qu’en faisant converger les points de vue des décideurs politiques, de la société civile (y compris des organisations de défense des droits de l’enfant, de la protection de l’enfance, de la protection de la vie privée numérique et de la liberté d’expression), des milieux universitaires et de l’industrie, et, bien sûr, des enfants eux-mêmes. Il est donc essentiel d’encourager des échanges qui dépassent les divergences et qui permettent de trouver un terrain d’entente pour œuvrer en faveur de la protection des droits de l’enfant à tous les niveaux.

 
 

 
 

This article is part of a series produced for a joint project between CRIN and defenddigitalme exploring a children’s rights approach to encryption. It might be further refined and updated as our own understanding of the topic develops.

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