La jeunesse française appelle à une meilleure éducation climatique comme levier de l’action écologique

 

Durant cet entretien, nous avons échangé avec les Jeunes Ambassadeurs pour le Climat (JAC), une association de jeunes Français visant à sensibiliser la population aux problématiques climatiques et environnementales. Nous avons discuté de l’éducation climatique en tant que levier de l’action écologique, des raisons pour lesquelles le gouvernement français devrait apporter davantage de soutien, et de la manière dont les dirigeants devraient faciliter la participation des enfants aux espaces décisionnels locaux et internationaux.

 
team photo of Jeunes Ambassadeurs Pour Le Climat Association on beige background
 

Le projet « Children’s Access to Environmental Justice » du CRIN mène des recherches dans 43 pays différents afin d’examiner comment les lois et les politiques protègent ou non les droits environnementaux des enfants. Nous voulons des normes plus strictes en matière de droits de l’enfant. Nous avons récemment publié le rapport Children’s Access to Environmental Justice sur la France, mais les rapports ne représentent qu’un aspect de notre action. Nous voulons aussi entendre directement ceux qui défendent les droits environnementaux des enfants. Au travers des entretiens, nous souhaitons explorer la façon dont nos résultats sont liés et peuvent soutenir les efforts de ceux qui sont à l’avant-garde du mouvement pour la justice climatique et y faire écho. 

À l’occasion de cet entretien, nous avons échangé avec quatre jeunes : Louise A., Louise C., Titouan et Pablo, membres des Jeunes Ambassadeurs pour le Climat (JAC), une association de jeunes Français visant à sensibiliser la population aux problématiques climatiques et environnementales.


CRIN : Quels sont les principaux impacts des dérèglements climatiques sur les enfants et les jeunes dans votre pays ?

Louise C. : L’impact psychologique prédomine en France. L’anxiété écologique touche les jeunes activistes français, mais aussi les activistes du monde entier, et a également un impact sur nos intérêts et ce dans quoi nous nous engageons, que ce soit notre parcours académique et professionnel, ou nos choix au quotidien. Un autre impact direct sur les jeunes en France touche les fonds destinés à l’éducation. Nous espérons qu’après la COP27, la France sera davantage engagée en faveur de l’éducation climatique, et que cela facilitera l’accès à l’éducation à l’environnement en France. 

Pablo : Je pense que cette situation est particulièrement difficile puisque nous savons tous que cela n’ira pas en s’arrangeant. Nous nous rapprochons donc de cet avenir avec la certitude de devoir être confrontés à de nombreux défis et problématiques. Notre société n’a jamais été construite pour faire face à ces enjeux. Les adultes nous demandent : « Que souhaiteriez-vous faire dans 10-20 ans ? ». Mais je ne sais même pas ce qu’il en sera de nos vies et de notre société dans 20 ans. Ce n’est pas facile d’y être confronté.

Que font les enfants et les jeunes en France pour améliorer la justice climatique ?

Louise C. : Je travaille avec l’Académie du Climat à Paris, qui a ouvert il y a un an. Son objectif principal est de donner aux étudiants l’accès à une éducation climatique afin qu’ils puissent développer un regard critique sur les différents enjeux actuels, par exemple sur les décisions du gouvernement et sur les moyens d’agir et de s’engager. L’association JAC a pour objectif de valoriser la compréhension et l’opinion critique. D’autres groupes font également la promotion de moyens alternatifs d’engagement pour la justice climatique, que ce soit par la désobéissance civile, en organisant des manifestations, au travers de l’art ou encore par l’action de groupes de défense. 

Pablo : Dans la plupart des pays européens, on constate une forte augmentation des actions directes et de la désobéissance civile. Beaucoup de jeunes luttent en participant à des manifestations ou en essayant d’informer sur les enjeux climatiques, mais rien de cela ne porte ses fruits. Les mesures prises par les gouvernements ne sont toujours pas suffisantes. L’action directe est notre dernier recours.

Que signifie exactement l’éducation climatique pour vous ? Et pourquoi pensez-vous que c’est important ?

Titouan : L’éducation climatique donne aux enfants et aux jeunes les informations dont ils ont besoin pour se forger leur propre opinion sur le changement climatique et sur la manière dont notre société devrait y répondre. Selon moi, ce n’est pas une définition, mais plutôt une manière de penser. 

Pablo : Je pense toujours à la citation de Nelson Mandela : « L’éducation est l’arme la plus puissante pour changer le monde. »

Comment l’éducation climatique peut-elle être un levier pour l’action climatique ?

Pablo : L’éducation donne aux enfants le pouvoir de comprendre la situation, d’être capables de la dépasser et d’être acteurs dans la construction de leur avenir. La Convention Citoyenne pour le Climat, pour laquelle 150 citoyens français ont été choisis aléatoirement afin de réfléchir à des solutions climatiques, en est un parfait exemple. Cela nous montre bien que même s’il existe des positions climatosceptiques, il est possible, au travers de l’éducation, de trouver des solutions bien meilleures que celles proposées par les gouvernements et les responsables politiques jusqu’à maintenant.

Louise A. : C’était incroyable, car les différents points de vue étaient bien représentés, y compris ceux de minorités rarement prises en compte dans ces débats, notamment les jeunes à partir de l’âge de 16 ans. Cette convention a vraiment mis en évidence l’importance de l’éducation. Quand les personnes sont conscientes de l’importance de nos actions au sein de notre société et de nos systèmes, elles ne veulent plus élaborer de politiques qui favorisent les énergies fossiles ou qui soutiennent la promotion du consumérisme.

Pablo : Des enquêtes ont été menées sur les différentes politiques proposées par la Convention Citoyenne, montrant que la plupart des gens leur étaient favorables. Cela nous montre que même si les responsables politiques ne proposent pas de solution appropriée, un groupe de personnes représentatif de la population et regroupé pour travailler ensemble peut en trouver.

Pensez-vous que la Convention Citoyenne pour le Climat soit efficace pour mobiliser les enfants et les jeunes ou existe-t-il de meilleures alternatives pour les impliquer dans l’élaboration de politiques ?

Louise A : Premièrement, les personnes qui élaborent les politiques actuelles sont souvent obsédées par le profit ou par les prochaines élections. On ne peut pas réfléchir aux enjeux du réchauffement climatique ou à tout autre problème de société avec une perspective aussi court-termiste. Pour les jeunes, le futur compte tout autant que le présent. Deuxièmement, cela nous permet de comprendre comment fonctionne notre démocratie, par exemple dans quelle mesure elle peut être corrompue par les médias, mais aussi comment nous pouvons la défendre. Troisièmement, le fait d’être impliqués dans l’élaboration de politiques nous donne l’espoir de pouvoir bâtir la société à laquelle nous aspirons. Cela nous permet de participer à la mise en place de mesures concrètes qui nous rapprochent de nos rêves. Tout le monde devrait pouvoir avoir l’opportunité de jouer un rôle dans l’élaboration de ce grand rêve commun.

Il existe une section du rapport du CRIN concernant l’accès des enfants à la justice environnementale sur l’éducation à l’environnement et les droits civils et politiques en France. Selon vous, les conclusions tirées reflètent-elles la réalité, et que pensez-vous de ces conclusions ?

Ce que le rapport a trouvé…

En France, l’éducation à l’environnement fait partie des programmes des enseignements primaires et secondaires. Il s’agit d’une norme établie à l’échelle nationale, mais le sujet n’est pas intégré aux programmes scolaires en tant que matière à part entière. Nos recherches nous ont montré qu’au contraire, le système éducatif compte sur l’intervention des ONG et des acteurs de la société civile pour dispenser ces enseignements. Cela signifie que sans l’existence de groupes tels que JAC, l’éducation à l’environnement ne serait pas assurée en France.

Pablo : En France, le gouvernement a longtemps délégué les enjeux de société aux organisations de la société civile. Il ne s’engage pas dans l’élaboration de politiques concrètes ou d’appui financier. Nous avons observé qu’il n’y a pas suffisamment d’enseignants dans les écoles à l’heure actuelle, ce qui traduit un manque d’investissements dans l’éducation. Néanmoins, nos enfants représentent l’avenir de notre pays. Nous devrions les considérer comme notre ressource la plus précieuse. 

Titouan : Le gouvernement consacre ses principaux efforts à l’élaboration de politiques économiques sans investir massivement dans l’éducation. Ces mesures sont pensées à court terme et ne sont pas durables. L’éducation est le chemin qui permet aux citoyens de contribuer à façonner nos sociétés. 

Louise A. : Malgré tout, le 20 octobre de cette année, le ministre de l’Éducation a annoncé une bonne nouvelle, prévoyant que l’éducation à l’environnement serait rendue obligatoire d’ici 2025. Aucune mesure concrète n’a encore été prise pour le moment, mais cela montre que le gouvernement pourrait apporter un plus grand soutien aux organisations comme la nôtre.

Avez-vous participé à la COP26 à Glasgow ? Que pensez-vous de la participation des enfants et des jeunes aux conférences internationales ? Avez-vous des idées sur la manière dont ces espaces pourraient être améliorés afin d’aider les enfants et les jeunes à y participer ?

Titouan : Participer à la COP26 nous a permis de prendre conscience de ce qui ne fonctionnait pas. Nous avons rencontré différents acteurs, et compris ce qui n’allait pas et ce que nous devions faire différemment. 

Louise C. : Si une décision a été prise suite aux négociations de la COP, les parties devraient être responsables de sa mise en place, mais il nous manque un tel système permettant aux pays de respecter leurs engagements.

Louise A. : Lors de la COP26, nous avons discuté avec différentes minorités comme des peuples autochtones et des femmes. Nous voulions dire à nos dirigeants qu’ils doivent prendre en compte les recommandations du GIEC et adapter les structures juridiques et économiques à celles-ci. Cela doit être effectué de manière juste et équitable pour tous. Si nous véhiculons ce message tous ensemble, nous aurons plus de pouvoir. 

J’ai échangé récemment avec l’organisation Youth and Environment Europe, et ils m’ont fait part de trois points principaux pour améliorer l’accès des jeunes aux espaces comme la COP. D’une part, les gouvernements devraient apporter leur soutien aux jeunes pour qu’ils puissent participer. Nous avons l’autorisation de demander des badges observateurs, mais nous n’avons pas toujours les moyens financiers pour nous rendre sur place. D’autre part, des espaces devraient être dédiés aux jeunes. Lors de la COP27, le Pavillon des enfants et des jeunes a été mis en place. C’est formidable, car pour la première fois des jeunes du monde entier qui partagent les mêmes rêves se sont rassemblés et ont partagé cet espace. Enfin, les enfants doivent être accompagnés pour pouvoir participer.

Titouan : En effet, cela peut être difficile pour les jeunes de prendre la parole pendant les négociations parce que nous ne comprenons pas toujours entièrement les enjeux. Dans certains cas, il serait donc plus judicieux que les jeunes participent en tant que conseillers afin qu’ils puissent donner leur avis, mais pas nécessairement prendre des décisions. 

Louise C. : Même si nous pouvons assister à la COP avec un badge observateur, ce n’est pas facile d’avoir suffisamment d’assurance pour prendre la parole pendant les négociations, notamment compte tenu de la compréhension du sujet et de la capacité d’analyse que requièrent ces échanges. Nous avons la chance de pouvoir aller à l’école, de développer notre esprit critique et d’avoir accès à toutes ces informations. Mais qu’en est-il des jeunes qui n’ont pas cette chance ? Leur voix compte aussi.

Pablo : Je suis d’accord, les espaces comme celui de la COP ne favorisent pas la participation des jeunes. Il y a beaucoup d’acronymes et de termes techniques. Tout cela est nécessaire, car ce sont des problématiques complexes qui sont traitées, mais des formations auraient pu être proposées pour aider les gens à bien comprendre les enjeux. C’est la même chose avec le système éducatif en France, c’est aux ONG que revient la tâche d’éduquer et d’expliquer comment cela fonctionne et d’encourager les jeunes à participer. Il s’agit d’un réel problème pendant la tenue des COP.

Étiez-vous présents à la COP27 à Charm el-Cheikh en Egypte ?

Titouan : Non, notamment car nous souhaitons réduire notre empreinte carbone et nous déplorons la situation des droits de l’homme en Égypte. Nous avons aussi bien réfléchi à l’utilité de notre présence. Il faut savoir que deux grandes conférences sur le climat ont lieu chaque année. L’une d’entre elles se déroule en juin à Bonn, en Allemagne, ce qui n’est pas loin pour nous et nous permet donc  d’y aller en train. Et puis il y a la COP qui s’est déroulée en 2022 sur un autre continent. La COP est le lieu où les négociations ont lieu et où se prennent les décisions finales  mais rien de tout cela ne pourrait être possible sans le travail acharné mené chaque année aux quatre coins du monde. C’est pourquoi nous préférons généralement assister aux conférences de Bonn.

Louise C : Il est plus facile de planifier des campagnes de sensibilisation à Bonn, car nous pouvons nous organiser avec des personnes qui prévoient aussi de s’y rendre et qui partagent nos ambitions. La COP, quant à elle, ressemble davantage à un grand marché, où chacun se soucie du changement climatique sans pour autant avoir les mêmes objectifs. 

Louise A : Nous essayons d’être présents là où nous sommes le plus utiles. D’ailleurs, Louise assure la coordination d’un programme remarquable ici, à l’Académie du Climat de Paris. Nous sensibilisons les jeunes à la crise climatique et leur donnons les outils nécessaires pour y faire face. Nous mettons tout en place pour qu’ils en saisissent l’ensemble des tenants et des aboutissants.


Regarder l’enregistrement de l’interview sur instagram live chat (en anglais)

 
 

À propos de JAC et de ses porte-paroles

JAC est une association de jeunes visant à sensibiliser et à éduquer la population aux enjeux climatiques et environnementaux, en animant des conférences et des ateliers. Elle assure le lien entre la jeunesse française et la Conférence des Nations Unies sur le climat. Nombre de ses membres et des étudiants (principalement en région parisienne) participent aux négociations internationales sur le climat (COP) et aux conférences sur la biodiversité (UICN). 

Pablo (23 ans) a récemment obtenu son diplôme d’économie comportementale, et effectue actuellement un stage au sein de l’équipe de lobbying d’une ONG qui milite pour la protection des océans. En adoptant une approche systémique du changement climatique, il prône une meilleure éducation et appelle les citoyens à agir directement. 

Louise Chevrinais (21 ans) étudie les relations internationales et suit en parallèle un apprentissage dans le domaine des relations publiques et institutionnelles au sein de l’ONG Empow'Her. Elle milite afin que la lutte contre le changement climatique fasse partie intégrante des programmes humanitaires pour l’amélioration du statut des femmes et des filles. Elle œuvre également en faveur d’une politique d’action conjointe pour la justice environnementale et sociale. 

Titouan (23 ans) est titulaire de la majeure Politique, Écologie et Soutenabilité (PES) de Sciences Po Lille. Il s’intéresse à l’urgence écologique en se penchant notamment sur l’éducation, les médias et l’art. Il est aussi un vrai passionné de culture, de sciences et de politique. 

Louise Arrivé (22 ans) est diplômée du master Stratégies territoriales et urbaines (STU) à Sciences Po Paris. Elle aborde les nouveaux projets sociaux avec créativité et collabore avec de nombreuses personnes et organisations. Loin de se laisser intimider par l’ampleur de certaines initiatives, qu’il s’agisse de programmes municipaux ou de COP, elle veille à la synergie de tous types d’actions. 


Pour en savoir plus sur ce que pensent les enfants de la crise climatique, et pourquoi il est essentiel de les inclure davantage dans le débat : Children’s rights and voices in the global response to climate change (en anglais).

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